Nord
Je suis du Nord. Enfin, du Pas-de-Calais pour être précise, mais le tout se confond dans une entité située en haut d'une carte météo, toujours cachée sous les nuages. Je suis du Nord dis-je, cela n'aura échappé à personne, mais peut-être que si après tout, vous ne faites que me lire et n'avez jamais eu l'occasion de m'entendre. J'ai cet accent pas du tout chantant des gens d'ici qui ont inventé une nouvelle voyelle, quelque part entre le A et le O, pour la substituer au A et qui mettent forcément un accent aigu sur les É (j'avé, j'été, un balé...).
Il fut un temps où je faisais quelques efforts pour perdre cette rudesse du ton et ces sonorités qui me situent immédiatement. L'accent du Nord est tout sauf hype, il respire la classe ouvrière et la bière, la mine et les frites. Puis j'ai décidé de garder ce parler intact parce qu'il fait partie de mon identité. Je ne suis pas parisienne et ça ne gêne personne.
Je connais ce patois aux mots colorés et le parle encore parfois sous le coup de la fatigue ou de la colère. Je continue de le parler pour ne pas l'oublier, ce dialecte est peu à peu en train de mourir parce qu'il est d'abord la langue des petites gens et qu'il sonne un peu trop prolo pour devenir un jour aussi classe que le Breton.
J'aime ces paysages qui savent être somptueux mais qui parfois affichent une mine désolée et résignée. De retour de vacances, je me dis souvent (en général à hauteur de Reims...), «purée c'est moche quand même», certes, il n'y a ni montagnes majestueuses, ni vallées élégamment nichées. Mais le Nord a pour moi le charme d'un chez soi qu'on aime malgré tout parce qu'on y a ses racines.
J'aime ces gens qui parlent fort et qui picolent un peu trop (nordistes ne vous offusquez pas, ce n'est pas moi qui le dit, c'est l'INSEE...). J'aime le fait qu'ils savent se rassembler par milliers pour faire la fête sans que cela ne dégénère. J'aime les joyeux fêtards de la Braderie de Lille ou du carnaval de Dunkerque et la foule bon enfant du stade Bollaert (entrer dans Bollaert un soir de grand match procure une émotion que je n'ai ressentie nulle part ailleurs).
J'aime l'esprit des gens d'ici qui vont certes de l'avant mais qui n'oublient rien. Je n'aime pas ceux qui voudraient tirer un trait un peu trop vite sur ce passé industriel sous prétexte qu'il faut passer à autre chose. On détruit des corons sous couvert d'une nécessaire mise aux normes mais en même temps, on flingue l'ambiance qui y régnait. Qu'ils doivent avoir froid les anciens mineurs dans leurs nouvelles maisons rutilantes...
J'aime même le temps qu'il fait. Je suis habituée au ciel de plomb, la pluie ne me gêne en rien et certainement pas pour faire ce dont j'ai envie. Ici qu'il fasse beau ou qu'il fasse moche, on y va quand même, sinon on ne fait rien...
J'aime le Nord comme les Bretons ou les Corses aiment leur région, avec les tripes. Je sais que je n'en partirai jamais parce que sur ma boussole, c'est toujours le Nord qui m'indique le chemin à suivre.
Travaillant dans une administration où les mutations sont aussi régulières que les équinoxes, j'ai entendu souvent cette phrase : «On pleure quand on arrive, mais on pleure encore plus quand on part».
Et comme dit Dany Boon : «Dans le Nord, on a rien, mais on en est fiers !».