Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La vilaine maison
27 mars 2007

Words

(Attention, billet long mais vachement intéressant pour lequel la connexion d'au moins 18 neurones a été nécessaire).

Bien que je sois une fille plutôt informée, je rebondis rarement ici sur des faits d’actualités. Cependant, l’autre jour, alors que sur le chemin du bureau, j’écoutais distraitement France inter pour achever de me réveiller, une information a retenu mon attention. Un linguiste, chargé par le Ministre de l’Education d’un rapport sur l’acquisition du vocabulaire, proposait de faire apprendre aux enfants des listes de mots dès la maternelle.

Je suis de suite montée sur mes grands chevaux : «Quoââââ, mais c’est aux parents que revient ce rôle, c’est à nous d’inculquer un vocabulaire suffisant à nos enfants*». En plus, les propositions émises par la droite, tu vois…

[* Pour preuve, à la maison on assiste souvent à des dialogues de ce type :

La puce : «Maman, bien que je me sois déjà régalée de trois Kinder Pingoui et que l’heure du déjeuner soit toute proche, m’autoriseras-tu à assouvir plus complètement ma gourmandise en me délectant d’un quatrième ?»

Moi : «Il me semble mon enfant que tu profites de mon attendrissement qui confine parfois à la faiblesse pour obtenir ce que tu veux. Je crains malheureusement que pour un développement satisfaisant de ta personnalité, il te faille parfois connaître les affres de la frustration».

Dans la vraie vie, ça donne plutôt cela :

La puce, attaquant sauvagement la porte du frigo à coup de petits poings rageurs : «Veux du Piiiiiiiingouiiiiiiiiiiii»

Moi : «J’ai dit non, c’est non ! Et par pitié, arrête de brailler»]

J’oubliais l’information entendue le matin jusqu’à ce que je tombe sur un commentaire du linguiste en question dans Libé : «Lorsque les mots précis manquent aux élèves, c'est le sens qu'ils tentent de donner au monde qui s'obscurcit ». Purée, ça c’est envoyé ! J’ai relu la phrase de Monsieur Bentolila et en ai mesuré toute la portée qui rejoint celle d’une théorie que j’affectionne particulièrement.

Il n’aura échappé à personne que je suis une grande admiratrice d’Orwell, non seulement de son écriture parfaite et de son imagination remarquable mais aussi et surtout des idées qui se dégagent de ses œuvres.

A la première lecture de 1984, j’ai comme tout le monde retenu l'horreur du régime politique imaginé et l’histoire d’amour contrariée par les circonstances. A la deuxième, je me suis arrêtée à des détails que j’avais ignorés jusque là. Ce n’est qu’à la troisième lecture que j’ai été littéralement fascinée par l’idée sous-jacente.

Dans ce livre la mesure la plus liberticide de toutes est celle qui vise à appauvrir le vocabulaire. Orwell émet l’idée selon laquelle les idées ne peuvent naître si on ne possède pas les mots pour les formuler. En gros et pour faire simple, si on a pas les mots, on a pas les idées. En supprimant des mots –et leurs supports, les livres- on réduit la liberté la plus fondamentale, celle de la pensée (cf. les autodafés qui précédèrent l'instauration du nazisme). Les émotions et sentiments ne peuvent alors plus s’exprimer. Et quand on ne sait pas dire, il faut bien trouver un moyen de s’exprimer (et en règle générale, ce n'est pas par la douceur qu'on exprime la frustration).

La suggestion de Bentolila m’est de fait apparue moins révoltante. L’idéal serait effectivement que les parents assurent la transmission du vocabulaire par le biais du simple dialogue ou de l’accès à la lecture. Mais on sait bien que ce n’est pas toujours possible pour un tas de raisons économiques, sociales ou culturelles. Alors, s’il faut en passer par des listes…

Cependant, quelque chose continue de m’intriguer. Il me semble que les enseignants passent leur temps à parler aux enfants, je crois que pour la plupart, ils le font très bien, avec un vocabulaire adapté dans un véritable souci de transmission du savoir. Je réfute les idées du style «c’était mieux avant», «ah l’école d’antan, c’était autre chose» ou «j’te mènerai ça à la baguette». Pourtant quelque chose a changé : pourquoi certains arrivent à l’âge du collège sans savoir lire et écrire. Comment ont-ils fait pour passer au travers de l’enseignement qu’on leur a dispensé sans rien en retenir.

Qu’est ce qui amène un enfant encore petit à décrocher d'emblée ? Qu'est ce qui le pousse à déjà baisser les bras ?

Je n’ai pas de réponse, seulement des questions. Je ne suis pas Ministre de l'Education, hé, ho...

Une sublime chanson (de circonstance) :

Publicité
Commentaires
C
je vous ai toutes lues avec intérêt,et pourtant,je ne trouve pas la solution à mon problème:<br /> je suis grand-mère d'un garçon de 10 ans et je le garde à la maison très souvent à plein temps car sa maman travaille en déplacement dans toute la France.<br /> J'ai toujours lu,dès toute petite,il y avait une bibliothèque bien remplie à la maison et nous étions abonnés à des magazines pour enfants très tôt(ce qui n'était pas courant à l'époque,j'ai 55 ans bientôt).<br /> Mes propres enfants m'ont toujours vue un livre à la main et pourtant...ils refusaient de lire autre chose que des B.D...Ma fille n'a jamais voulu lire un livre de sa vie(elle a 33 ans!) et mon fils n'a commencé que vers 18 ans(ouf!il continue!)<br /> Mon petit-fils,ne veut pas lire non plus(sauf quand il est "obligé par la maîtresse" comme il dit...mais autant,il a une mémoire extraordinaire pour la géographie ou toute autre chose qu'il aime,autant il oublie aussitôt ces livres "imposés"!il veut bien que je lui lise des histoires mais c'est tout.J'ai beau lui tendre la perche en lui expliquant qu'il existe des livres sur toutes les choses qui l'intéressent,c'est un refus catégorique!<br /> Alors,que faire dans ces cas-là?<br /> Je précise que ma fille lui a toujours acheté des livres depuis qu'il est petit(moi aussi,bien sûr!).<br /> ça me désole mais quelle solution adopter?
J
oh minçouille! je venais te dire bonjour, puis je me suis lancée dans la lecture de ce billet, et j'ai oublié!<br /> <br /> bonjour Marie! bon week-end!
J
une liste de mots?<br /> <br /> une liste de mots à ne pas dire, oui!<br /> <br /> celle du vocabulaire grossier, que l'enfant maîtrise parfaitement, et très tôt:<br /> <br /> mon fils s'est entendu dire récemment par un petit camarade de classe:<br /> <br /> "si tu disais plus de gros mots, ben tu serais comme nous" !<br /> <br /> je pousse mon fils à cultiver cette différence, celle de ne pas être grossier...
M
Bellesahi > Oui tu as raison, la culture n'est pas une affaire d'argent et je trouve que pas mal de possibilités sont offertes d'apprendre sans dépenser (bibliothèques, musées gratuits...). Heureusement qu'on peut être cultivé même avec des revenus modestes... on ne va pas tout laisser aux riches quand même. Ceci dit, je persiste à croire que la misère ne favorise pas l'envie de savoir.<br /> Au fait, c'est vraiment bien ce que tu fais.<br /> Mikaela > Les outils d'écriture et de communication ont aussi beaucoup changé (chat, SMS, traitement de texte) laissant peut-être croire que le vocabulaire est moins "utile". J'ai moi-même désormais un peu de mal à rédiger sans clavier. Ceci dit, Word ne peut pas grand chose si on a pas assez de vocabulaire. Et oui, je suis d'accord, le rôle des parents est essentiel dans cet apprentissage.<br /> Soeur Anne > Je crois aussi qu'il faut laisser les petits s'habituer à l'objet livre (même si on doit ramasser 50 bouquins plusieurs fois par jour...). Même un tout petit sent bien qu'il y a "quelque chose" là-dedans. Ma puce fait souvent semblant de lire nos bouquins. Elle a donc compris le principe. Aussi je suis très contente de la voir faire une grosse colère parce qu'elle veut absolument aller chez Brunet (pour les non 62 Brunet est une chouette librairie à Arras). Aussi quand on est pressés, on fait un détour pour éviter Brunet ;-))<br /> Dom > On est bien d'accord, le problème est bien plus vaste et la responsabilité de cet échec ne peut être uniquement attribuée aux parents et aux instits. Les sources sont bien plus variées (tiens je crois que je vais faire un deuxième post, j'ai encore plein de choses à dire et je sens que vous aussi).<br /> Baïlili > J'espère bien qu'on leur expliquera... sinon on risque de lire des trucs du style "J'te calcule même plus, t'es trop dithyrambique comme meuf" ;-))))<br /> Kheyliana > Oui, l'école allait mieux, mais le reste de la société aussi...
K
Je t'avais fait un long com, manger par mon ctrl click, canalblog n'aime pas cette commande ...<br /> Pour moi, je l'avoue, je trouve que c'était mieux avant, on ne répondait pas aux parents, et encore moins aux profs, on filait droit, à tout niveau, on n'avaitpas le choix ... et je pense que de ce fait là, nous apprenions mieux, car les classes étaient plus disciplinées que maintenant.
Publicité